Cannes 2016/Cinéma vérité

WILLY 1ER de Ludovic et Zoran Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P. Thomas

NOTE 4/5

SORTIE EN SALLES LE 19 OCTOBRE 2016

À la mort de son frère jumeau, Willy, 50 ans, quitte pour la première fois ses parents pour s’installer dans le village voisin.  Inadapté, il part trouver sa place dans un monde qu’il ne connaît pas. 

Dresser le portrait d’une identité paysanne, comme d’une intimité humaine, est un exercice dangereux parce qu’il demeure toujours le risque de déporter le récit vers une forme de voyeurisme indécent, presque méprisant. La photo de famille en ouverture emprunte aux pires travers du paysage audiovisuel français lorsqu’il sacrifie, bêtes de foire, des hommes, des femmes, des âmes humaines et sensibles, sur l’autel de la dignité. Il fallait donc bien huit mains pour éviter au film toute dérive narrative, puis élever l’histoire vers quelque chose de délicat, de pudique, et d’harmonieux.

L’alchimie qui émane du quatuor de réalisateurs transparaît dans le film comme une déclaration d’amour à cette vie laborieuse, courageuse, qu’on aurait envie de penser déconnectée de tout, mais qui est en réalité connectée à l’essentiel : la bienveillance. « Willy 1er » est certes une fiction, mais dans laquelle la part de réel est indispensable pour humaniser le tout, le rendre vivant, vivace, vivifiant. D’un spectacle humain projeté sur grand écran se transmet un sentiment palpable : une sincérité émouvante, du genre à remuer le ventre et les tripes, à faire poindre un sourire attendrit sur le coin des lèvres. C’est que le personnage de Willy ne tente jamais de faire semblant, d’imiter, de reproduire : il vit littéralement l’histoire. Et donne au spectateur une grande leçon d’humilité, face à ce monstre d’innocence et de fragilité, comme il n’en existe plus. Comment peut-on à ce point encore avoir foi en l’avenir, en la vie, en tout ?

willy1er-supermarche

Acteur non professionnel, dont le parcours personnel nourri le scénario, « Willy 1er » redonne, jusque dans le titre, une forme de noblesse à ce héros de la vie ordinaire qu’incarne Daniel Vannet. Le film n’est pas son histoire, mais l’histoire en revanche rappelle sa détermination à réaliser ses rêves. Le comédien n’a donc pas besoin de jouer pour sembler si peu commun, il l’est ! Voilà une figure d’une authenticité rare, sans filtre, dont se dégage une aura spéciale. Mais si fragile il paraît, Willy n’en est pas moins doté d’une étonnante force intérieure, rugissante, colérique, volcanique, qui resurgit avec violence à la mort de son jumeau, jusqu’ici seul être tout à fait capable de le comprendre. De l’absence naît alors l’évidente étape de l’indépendance, où le deuil agit comme un moteur à l’émancipation.

« A Caudebec j’irai, un appartement j’en aurai un, un scooter j’en aurai un, des copains j’en aurai, et je vous emmerde !».

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L’enjeu peut paraître dérisoire mais qu’importe, il n’y a pas de petit rêve. D’autant qu’y parvenir n’est pas si simple ! D’un cocon préservé Willy part se confronter à l’inconnu. C’est un candide en pleine crise adolescente qui expérimente d’abord la solitude, la trahison, la violence, l’humiliation… Quel sentiment de peine immense pour cet homme rempli d’illusions, confronté soudain à une communauté grossière qui le moque, le victimise. C’est une grande claque de s’apercevoir comme les adultes restent d’éternels chahuteurs, pervers, mauvais. Mais on aurait tort de croire Willy inadapté, car sa lucidité naissante face au monde qui l’entoure se fait dans le même processus qu’un enfant qui s’éveille : avec force. Il nous scotche même, quand il affirme que la vérité, il faut la regarder en face mais que, la vérité, c’est de la merde. En effet, pour la méchanceté qu’il y avait à voir dans le miroir du réel, on admet finalement que toute l’intelligence de Willy ait été de se réfugier dans l’insouciance.

N’y a-t-il rien plus honnête que « Willy 1er », qui dans la fiction, fait apparaître sans cesse le spectre de Raymond Depardon ? C’est dire si c’est réussi !

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