NOTE 3/5
Paterson vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes, de William Carlos Williams à Allen Ginsberg, aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…
Il y a quelque chose de profondément rassurant dans « Paterson », comme un refrain qui serait toujours le même, constant, répétitif. Une sorte de repère temporel, ou de refuge mental, dans lequel la vie passe et recommence, se déploie et se replie. Et chaque jour de la semaine se décline ainsi, du lever au coucher. On peut s’y ennuyer, s’y perdre ou au contraire s’y retrouver : le film se fait alors la projection de notre propre quotidien, où la vie se rejoue en boucle, ponctuée de variations infimes et de micro-drames anodins qui, dans la mécanique usuelle, deviennent soudain essentiels. Mais comment parvenir à dérouler un film de deux heures sans enjeu dramatique ? En fait, « Paterson » ne peut s’articuler que dans le temps, avec patience et attention. Car tout le récit repose précisément sur la contemplation silencieuse d’un paysage familier, jusqu’au surgissement d’un nouveau détail. Et si la véritable richesse était justement cette capacité à observer l’infiniment petit, ce qui est si dérisoire que plus personne ne le voit ?
Paterson est chauffeur de bus dans la ville de Paterson. Sa vie, modeste, n’a rien d’idyllique a priori, mais c’est la manière placide dont il appréhende les événements qui le rend capable de transformer un matin de travail en une promenade poétique dans les lumières du soleil qui se lève, ou faire du petit-déjeuner une source d’inspiration inattendue lorsque le regard se pose sur une boîte d’allumettes. Et le feu de ce petit bâton de bois trouvé dans la cuisine d’embraser de vers amoureux une journée banale. Voici le genre d’explosions secrètes qui constellent le film d’une délicatesse toute particulière. Son bus éponyme, sanctuaire philosophique, se substitue à son conducteur et métaphorise un laboratoire d’où émane quantité d’idées et de surprises. De son siège, Paterson devient ainsi le témoin attentif et invisible du théâtre humain dont il s’efforce de conjurer l’insignifiance par l’écriture.
Des mots inscrits dans un carnet secret, car Paterson est un poète solitaire et intime. L’exact opposé de sa compagne Laura, femme d’intérieure expansive et exaltée, qui conçoit chaque jour de nouvelles créations en noir et blanc. Tour à tour peintre, styliste, pâtissière ou chanteuse, elle est manichéenne quand il choisit les nuances, hyperactive quand il est impavide, insistante quand il est accommodant. Le couple est un concentré de créativités contraires, débordantes et incompatibles, mais pourtant complémentaires.
Et, lorsque survient fatalement l’incident de parcours, le grain de sable devient une nouvelle occasion d’avancer toujours plus loin, créant dans la routine un autre rythme à suivre. C’est à la fois naïf et paisible, prosaïque et idéaliste. Un transport poétique et « en commun » : on n’aura jamais été si heureux de circuler en bus, avec la légèreté magique d’une ville détournée en page blanche…