NOTE 4/5
Bruno a publié un fougueux premier roman en 1996. La presse titrait « Il y a un avant et un après « Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête ». Vingt ans plus tard, Bruno a 50 ans. Il est célibataire, il n’a pas d’enfants et vit en colocation avec une Femen. Il se lève à 14h et passe la plupart de ses journées en caleçon à la recherche de l’inspiration. Pour lui, tout va bien, mais ses proches s’inquiètent.
Qu’ils soient vulgaires ou littéraires, les mots ont un sens. Une nuance. Et c’est toujours avec soin que Bruno les assemblent, sensible à la moindre formule qui prendrait soudain une signification particulière ou une sonorité idéale ; et ainsi faire naître l’inspiration, bousculer l’imaginaire. Le film explore les expressions à la fois dichotomiques et poreuses d’un rapport exalté ou raisonné aux choses. L’un est incarné par Bruno, écrivain incompris et philosophe de l’abstrait, l’autre par ses proches, représentés comme un tout, une masse de « normalité », qui anamorphose une réalité parallèle et convenable.
Névrose d’artiste ou perméabilité au moindre détail ? Tout semble perpétuellement question de point de vue, tant le sentiment de folie paraît contaminer chacun des personnages, autant que le spectateur. C’est entre les lignes d’un montage entre réalité et fantasme qu’il faut se perdre, pour essayer, peut-être, de pénétrer les méandres du cerveau humain. On aime profondément ce bordel joyeux, vivant, excentrique et émouvant. A sa manière, « Le ciel étoilé au-dessus de ma tête » transcende l’écran, le dépasse, pour atteindre le public d’une manière inattendue et irrationnelle. Chez Vincent Macaigne dans « Pour le réconfort » , la mise en scène d’une hystérie radicale nous embarquait un moment puis finissait par tourner en boucle, créant un malaise inconfortable (justement). Ici au contraire, la psychose collective devient curative, jusqu’à s’imposer comme le moteur indissociable du film. Alors les mots autant que les images se mélangent, s’invectivent, se déversent, s’opposent; et les mots magiques soigneusement choisis par Bruno prononcés sans considération par ses proches deviennent dans leurs bouches des maux blessants, indélicats.
Le film nous parle du fameux syndrome de « l’artiste », celui qu’on considère volontiers comme lunaire parce qu’il ne nous ressemble pas. Bruno est-il dingue parce qu’il vit en huis-clos à la poursuite de l’inspiration ? Pour matérialiser ces états singuliers presque indescriptibles, le cinéaste se risque à un admirable et dangereux numéro d’équilibriste qui se veut à la fois outrancier et ringard. En cela le film tient du miracle, tant les situations cocasses et illuminées frôlent toujours la catastrophe ou l’excès. C’est dire la performance prodigieuse de Laurent Poitrenaux, qui réussit l’exploit de rendre un marginal un peu cinglé à la fois séduisant et désirable; dévoilant, derrière l’image du vieux garçon poisseux et hors-norme, un intellectuel désespéré, torturé par la perfection, la pensée et l’imagination.
D’un côté, sa créativité bouillonnante l’amène à explorer des territoires inimaginables et inaccessibles à la pensée « normale » – ouvrant de vertigineux horizons des possibles; de l’autre, son succès est une pression supplémentaire qui s’ajoute à l’angoisse de la page blanche, où les idées nouvelles entrent en confrontation permanente avec l’inspiration passée. A travers cette delirium thérapie contagieuse, Ilan Klipper interroge le processus créatif et le génie artistique, dans ce qu’il a de puissant et de métaphysique, d’absolu et d’oppressant. Un chemin délicat et douloureux, où la motivation et le découragement s’entrecroisent sans cesse, pour parvenir à la mise au monde de « l’oeuvre ultime », créée avec sincérité, fierté et désir. Dément !