Effervescente, cette édition cannoise a plus que jamais marqué le retour du cinéma, après son absence pesante en 2021 – au sens du spectacle dans une salle. Cela méritait bien qu’on mette les petits plats dans les grands, multipliant les expériences, les oeuvres, les lieux et les sélections. Une année excessive donc, ou plutôt, surabondante, bouillonnante et expansive. Inégale certes, mais pléthorique, pour célébrer l’amour de l’écran, et la présentation de films précieusement gardés au chaud – tel « Benedetta » de Paul Verhoeven, dont une affiche géante laissant entrevoir le sein de Virginie Efira ornait déjà la Croisette en 2017 sous le titre de « Blessed virgin ». C’est dire si l’impatience était palpable, tant du côté des festivaliers que des organisateurs. Outre les 24 films en compétition officielle et ceux des habituelles sections parallèles, la programmation s’est également enrichie de deux nouvelles sélections, dont « Cannes Première » – joyeux fourre-tout de cinéastes confirmés comme son nom ne l’indique pas – et « Cinéma pour le climat » dédié aux films d’environnement. Pour s’assurer que chacun d’eux y trouve sa place et puisse être encore mieux visibles, le festival a en plus inauguré un nouveau complexe cinématographique dernière génération. Cet excès, de salles et de films, n’a jamais pris l’allure d’un marathon, mais nous a forcément poussé à avoir les yeux plus gros que le ventre et à dévorer – littéralement – autant de cinéma que possible. Une cinéphagie vertigineuse à en avoir les yeux qui piquent et la tête qui tourne, avec un record personnel de 40 films découvertes en 10 jours (contre… 18 en 2019).
Fatigant évidemment; contraignant, parfois, quand il faut se lever à 7h pour le premier film du matin. Mais excitant, aussi, de retrouver la créative énergie et la générosité du cinéma. Il y était autant question de fin de vie que de la vie qui renaît, autant question d’amour et de désir que de sensualité, autant question de violence que d’injustice. En cela, la Palme d’or « Titane » de Julia Ducournau ne fera pas seulement l’Histoire parce qu’elle récompense l’audace d’une réalisatrice, mais parce que le film encapsule aussi toute la tonalité si particulière de ce festival – à travers une œuvre punk et irrévérencieuse, à la fois sexy et monstrueuse.
Pandémie oblige, les festivaliers étrangers étaient cette année moins nombreux. Mais leur cinéphilie a continué de nous parvenir, et les brûlots politiques de nous documenter sur l’absurdité du monde. En Iran, « Un héros » d’Asghar Farhadi confronte le mensonge et la rumeur, dans une quête de justice évidemment inextricable. En Russie « Delo » d’Aleksey German Jr – littéralement « A résidence » – s’élève contre la liberté d’expression, étrange écho à la réalité du cinéaste Kirill Serebrennikov, lui-même injustement assigné à résidence, et qui propose avec « Petrov’s flu » une déambulation hallucinée et fiévreuse dans les méandres d’un pays souffreteux. A Hong-Kong, le documentaire surprise « Revolution of our times » est une plongée sans filtre au cœur des émeutes contre l’extradition chinoise. En France, « La Fracture » de Catherine Corsini est une tentative moins frontale, certes dramatique mais très drôle, qui amorce un dialogue entre les Gilets Jaunes, les soignants et un couple de bourgeoises – et tenter, peut-être, de dénouer quelque chose.
Que faut-il garder dans sa wishlist en 2021 ? Voici une courte sélection très subjective de 6 films, à voir et aimer (sans ordre particulier) :
- Ouistreham d’Emmanuel Carrère (Quinzaine des réalisateurs), pour la puissance de l’adaptation, respectueuse et juste sans être tire-larme.
- Titane de Julia Ducournau (Compétition officielle), pour l’expérience sensitive et parce que c’est la Palme d’or !
- Are you lonesome tonight ? de Shipei Wen (Séance spéciale), pour le montage ingénieux et la beauté de la mise en scène.
- Petite nature de Samuel Theis (Semaine de la critique) pour la sincérité du film et des acteurs.
- Les Olympiades de Jacques Audiard (Compétition officielle), pour sa poésie et son noir et blanc cotonneux.
- Red Rocket de Sean Baker (Compétition officielle), pour son scénario inattendu et rafraichissant.
JOUR 1
- The Souvenir de Joanna Hogg
- Ouistreham de Emmanuel Carrère
JOUR 2
- Tout s’est bien passé de François Ozon
- Grosse Freiheit de Sebastian Meise
- Cow d’Andrea Arnold
- Un monde de Laura Wandel
- After Yang de Kogonada
- Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier
JOUR 3
- Delo de Aleksey German Jr.
- Petite nature de Samuel Theis
- Benedetta de Paul Verhoeven
- Stillwater de Tom McCarthy
JOUR 4
- Olga de Elie Grappe
- Mothering sunday de Eva Husson
- Bonne Mère de Hafsia Herzi
- Friendship’s death de Peter Wollen
- De son vivant d’Emmanuelle Bercot
- La fracture de Catherine Corsini
JOUR 5
- Flag Day de Sean Penn
- Rien à foutre de Emmanuel Marre et Julie Lecoustre
- Cette musique ne joue pour personne de Samuel Benchetrit
- Are you lonesome tonight de Shipei Wen
- Mulholland drive de David Lynch
JOUR 6
- Tre piani de Nanni Moretti
- Bergman Island de Mia Hansen Love
- Les héroïques de Maxime Roy
- La croisade de Louis Garrel
JOUR 7
- Petrov’s flu de Kirill Serebrennikov
- The French dispatch de Wes Anderson
- Titane de Julia Ducournau
JOUR 8
- Un héros de Asghar Farhadi
- Red rocket de Sean Baker
- Serre-moi fort de Mathieu Amalric
JOUR 9
- Les Olympiades de Jacques Audiard
- In front of your face de Hong Sang Soo
- France de Bruno Dumont
- The story of my wife de Ildikó Enyedi
JOUR 10
- Noche de fuego de Tatiana Huezo
- Revolution of our times de Kiwi Chow
- Haut et fort de Nabil Ayouch
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