En bref

Top 2021 : retours à l’essentiel

Le temps passe et la mémoire s’échappe aussitôt. Mais n’oublions pas que le cinéma, en 2021, a commencé le 19 mai. Une demi-année sans salles, sans liesse, laissant place à un cinéma forcément de l’intime. Un face-à-face parfois salvateur, invitant aussi à retenir le temps, à mettre sur pause ce ballet hebdomadaire qui lui-même balaie de semaine en semaine, de salle en salle, une foule de films à peine arrivés, aussitôt remplacés, dans un flux continu et submergeant.

Si je n’en retenais donc que 3, dans l’ordre :

J’ai aimé avoir « La Fièvre de Petrov », et plonger dans les hallucinations sordides de Kirill Serebrennikov, qui ne cesse de m’étonner. J’ai aimé changer d’avis et me laisser dévorer par la mise en scène des « Illusions perdues » de Xavier Giannoli. J’ai aimé l’égarement fantasmagorique d’Arthur Harari avec le long périple d’« Onoda, 10 000 nuits dans la jungle ». J’ai aimé la douceur cotonneuse du noir et blanc de Jacques Audiard dans « Les Olympiades ». J’ai aimé encore le choc du désarmant documentaire « 17 Blocks » de Davy Rothbart, qui suit deux décennies une même famille…

Mais en 2021, réapprendre la contemplation, le temps long et le charme des joies simples, nous a peut-être aussi rendu plus perméables à l’envie d’un retour à l’essentiel. Des histoires d’amour fluides, belles, naturelles, poétiques, quelquefois surgies de nulle part et finalement plus profondes qu’elles n’en ont l’air. Ce qu’illustre encore le cinéaste naturaliste Guillaume Brac dans « A l’abordage », qui prolonge à l’écran une certaine idée de l’idéalisme. La grâce et la spontanéité de ses personnages, héroïques sans en avoir a priori ni l’étoffe ni l’allure, se révèlent par leur grandeur d’âme.

Dans un autre registre, ce qu’essaie d’esquisser Leyla Bouzid dans « Une histoire d’amour et de désir » est encore un geste timide, si délicat qu’il n’effleure son sujet que du bout des doigts, à l’image des deux jeunes personnages, qui découvrent ensemble la sensualité par la littérature.

Finalement, la version de Charline Bourgeois-Taquet « Les Amours d’Anaïs » s’impose comme une variation bien plus audacieuse et plus mature de cette attirance pour la beauté des mots avant la beauté des corps. Au point d’être troublé soi-même par la puissance écrasante et solaire de cette fulgurante évidence entre les personnages d’Anaïs Demoustier, trentenaire indécise et agitée, et de Valeria Bruni-Tedeschi, écrivaine inspirée et inspirante. Tout y est inextricable, impossible bien sûr, mais ce que peuvent les mots… c’est signifier un sentiment, et donc déjà lui donner de l’importance, une consistance. Un miracle éphémère, vécu à la vitesse d’un rêve qui s’achève dès lors qu’il commence, mais dans lequel on plonge entièrement, totalement, follement, pour le seul désir de s’y laisser envahir. Sans doute ma plus intense émotion de l’année.

Les Amours d’Anaïs

A l’autre bout du monde, la fascination provoquée par « Compartiment N°6 » de Juho Kuosmanen, sur le voyage d’une finlandaise au fin fond de la Russie à la recherche des pétroglyphes de Mourmansk, dépasse une autre rationalité. Ici le personnage fait le chemin inverse, et s’éloigne d’un univers intellectuel trop lisse, trop engoncé, pour retourner à des sentiments peut-être plus prosaïques. Contrechamp à l’immensité du territoire russe, l’événement se produit à huis clos, à l’abri d’un exigu wagon de train, à une époque nostalgique où internet et les téléphones portables n’existaient pas. C’est d’ailleurs parce qu’elle est vouée à l’éphémère que la rencontre est si précieuse : il y avait encore, en ce temps-là, des occasions de faire connaissance, de se manquer et craindre de se perdre. Quel plus bel émerveillement que cette romance maladroite et ordinaire, où deux âmes solitaires, perdues, s’apprivoisent et se complètent, portés par l’entraînante bande-son de Voyage, voyage de Desireless…

Ces deux films ont en commun leur liberté et leur fluidité : celle d’aimer un homme puis une femme, un homme et une femme, ou l’inverse, fuir ou revenir, sans jamais n’avoir à rendre des comptes ni se détourner de son sujet : l’amour. Et c’est aussi ce qui les rend sublimes.

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