Cannes 2023/Critiques

L’ETE DERNIER de Catherine Breillat

Anne, avocate renommée, vit en harmonie avec son mari Pierre et leurs filles de 6 et 7 ans. Un jour, Théo, 17 ans, fils de Pierre d’un précédent mariage, emménage chez eux. Peu de temps après, il annonce à son père qu’il a une liaison avec Anne. Elle nie.

Dix ans qu’on était sans nouvelles de Catherine Breillat, et c’est peu dire à quel point elle manquait au paysage cinématographique. Malgré son accueil timide à Cannes, la sulfureuse réalisatrice d’ “A ma soeur” et de “Romance X” n’a rien perdu de son côté punk, dans sa manière de célébrer l’urgence du désir plutôt que la tiédeur de l’amour. Certes, sa radicalité peut heurter, mais elle dérange justement parce qu’elle sait capter les zones grises du consentement et oser la transgression. 

C’est toute la liberté de la fiction : pouvoir tout raconter, sans besoin de théoriser la moralité des personnages. Ici, cela s’illustre par un long plan fixe du visage d’Anne (Léa Drucker) sur le point de jouir lors d’un rapport avec son beau-fils de 17 ans (Samuel Kircher). Un vertige. Un abandon. La scène est puissante précisément parce qu’elle ne s’attarde pas sur la pudeur des corps, mais capture l’intimité la plus totale au fond d’un regard, d’une expression non feinte, plus signifiante encore que l’étreinte elle-même.

Puissante aussi parce qu’elle crée un contraste saisissant avec la personnalité d’Anne. Au travail, cette avocate pour mineurs est méthodique et énumère froidement des faits d’abus sexuels. Au lit avec son mari, elle se montre désinvolte et frigide. Au fond, sa relation avec Pierre (Olivier Rabourdin) est une manière de monter l’échelle sociale, à l’inverse de sa sœur Mina, esthéticienne bohème, en décalage avec l’ennui et la lourdeur des dîners mondains. Anne mène une vie confortable mais sans plaisir, que les conventions bourgeoises transforment en prison sociale.

Théo est encore dans sa jeunesse, sauvage, libre et inconvenant. Il est à la fois le charme et le poison : la possibilité d’une émancipation comme le danger de tout perdre. De cette ambivalence s’opère le point de bascule, dans une grandiose scène de mensonge, où l’art rhétorique trahit toute sincérité sentimentale. Or la beauté du film, et son acmé, se situent paradoxalement dans le silence de sa scène finale – où, pour la première fois, le mari ennuyeux et père absent, trouve enfin sa juste place. 

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