NOTE 1/5
« Le sentiment de la chair » est un film sensitif. Il met en scène une histoire d’amour chirurgicale qui dissèque littéralement tous les degrés de la passion jusqu’au point de non retour.
Amour et transgression
En effet, Roberto Garzelli signe ici un long-métrage obsessif autour de la force des sentiments et de ses limites. La passion doit-elle absolument être meurtrière ? À la manière de « L’Empire des sens » (Nagisa Oshima), « Le sentiment de la chair » décortique dans les détails l’évolution d’une relation passionnelle, voire fusionnelle, des premiers frissons aux entrailles de la jouissance.
Hélèna étudie le dessin anatomique. Benoît est radiologue. L’un et l’autre partagent une passion commune : celle du corps humain.
Leur première rencontre est d’ailleurs médicale : Benoît découvre sa patiente de l’intérieur. Dès le départ, il s’immisce involontairement dans l’intimité la plus profonde d’Hélèna, mettant à nu sa face cachée, perçant ses mystères et les moindres détails qui la rendent unique – la forme de ses os, et de ses organes. S’engage alors une relation d’amour « fou », au sens propre du terme.
L’amour au scalpel
Le film incarne cette quête d’appartenance à l’autre, et la mène à son paroxysme : leur désir de se connaître dans tous les sens et par tous les sens les pousse à un étrange rituel de cannibalisme amoureux. Se toucher, se sentir, se voir ne suffit plus; le plaisir s’assouvit désormais par la nécessaire dévoration de l’autre. Ainsi, la nudité des corps transcende celle du décor, car elle ne l’est plus que par le regard du spectateur : pour le couple, le désir n’est plus physique, mais organique.
On aimerait réussir à s’attacher aux personnages, mais le film souffre d’un problème de rythme : tandis que la construction des sentiments va trop vite, le scénario s’engouffre ensuite dans un long flottement narratif, où la progression de leurs expériences sexuelle devient beaucoup trop lente. Dommage. La dernière séquence, le spectateur la redoute et l’attend à la fois, comme une suite logique des événements. Mais elle-seule ne suffit pas à tenir en haleine. Aucune réelle surprise, aucun rebondissement : malgré l’horreur de la scène, le réalisateur choisir un scénario finalement très linéaire.
Quand la greffe ne prend pas
Dans la folie douce, je regrette que la fiction ne dépasse pas plus la réalité. À ce jeu-là, Luka Magnotta déborde d’imagination … Le synopsis au départ était pourtant audacieux; mais le réalisateur ne creuse pas assez en profondeur la psychologie irrationnelle des personnages. Quitte à être glauque, le film aurait facilement pu se permettre de proposer une intrigue encore plus voyeuriste dans l’exploration de l’intime.
Annabelle Hettmann et Thibault Vinçon ne m’ont pas convaincue non plus dans ces rôles singuliers, bien qu’ambitieux. Leur volonté de faire passer Hélèna et Benoît pour des gens normaux manque de crédibilité; car le spectateur n’est pas dupe. Ce sont deux personnes complexes, inhumaines dans leur rapport à l’humanité, qui méritaient sérieusement qu’on radiographie leur névrose – ne serait-ce que pour donner un peu d’épaisseur à l’histoire.
Le film promettait de prendre aux tripes … hélas en ce qui me concerne, l’opération est un échec.