En bref

Top 2019 : unique et multiple à la fois, le phénomène LA FLOR

Si j’ai effectivement quelque peu déserté ces colonnes ces derniers mois, je n’ai pas pour autant cessé d’aimer le cinéma. Comment le pourrais-je ? Une année pleine d’humour, forcément noir, avec le retour de mon cinéaste chouchou Yorgos Lanthimos et « La Favorite », dont le mordant et l’artificialité léchée me réjouissent toujours, puis par la formidable Palme d’Or « Parasite », dont l’inventivité est venue de Corée. Une année nostalgique, aussi, égarée entre la beauté parfaite des « Eternels » de Jia-Zhang-ke et l’intimiste « 90’s » de Jonah Hill. Une année révoltée, enfin, dont les claques des « Misérables » et de « Pour Sama » ont fait affluer nos émotions.

Que me reste-t-il cependant, outre le sentiment étrange d’une succession de plaisirs éphémères, immédiats, évanescents ? Rien, ou presque, qui ne m’anime et m’électrise autant que mes favoris 2018, dont les pantomimes de « Burning » et la concupiscence des « Garçons sauvages » continuent de me hanter.

Rien, sauf, l’émerveillement miraculeux et inattendu des 14 heures de « La Flor », qui pourrait résumer à lui seul la richesse et la diversité de l’année, à la faveur d’un Top 2019 unique et multiple à la fois.

LA FLOR de Mariano Llinás, parties 1, 2, 3 & 4

Y entrer, c’est visiter une installation monumentale, construite à la manière d’un musée de cinéma, où la fusion de l’abstrait et de l’étrange donne sa matière à ce film-expérience insolite. Une illustration en 6 épisodes de la métamorphose, en quelque sorte, qu’induit l’idée-même de cinéma.

Au fond, la démonstration rhétorique de « La Flor », à l’aise dans tous les genres, laisse supposer qu’il s’agit d’un film élitiste, tant sa sophistication brouille les pistes et ajoute à l’intention. On y pense notamment lorsque le cinéaste ouvre des parenthèses dans son œuvre, pour nous expliquer face caméra – dessin de la fleur à l’appui – les ramifications de son procédé artistique, comme si, face à cette entreprise radicale, pénétrer le film sans explications était impossible. Ce que le film donne est pourtant inutile à intellectualiser, puisque sa recherche formelle et son rapport créatif n’ont rien de rationnel, à la manière d’un « cadavre exquis ». Cette liberté offre davantage de poésie à la fiction, qui ne repose plus uniquement sur l’épaisseur psychologique de ses personnages, mais se concentre sur l’évolution des strates métaphoriques et planantes d’un film en lévitation…

Il ne s’agit pas de saluer ce film-performance pour sa durée hors-norme ou par snobisme cinéphile, mais plutôt d’en saisir l’élan. Étirer autant la matière film, travailler sa texture, ses ressorts et ses limites, est une intention forcément audacieuse. Ce dispositif maniéré n’a pourtant rien de l’expérience artificielle, que le film convoque parfois : le réalisateur fait du cinéma une affaire sérieuse, et c’est précisément ce qui fait la beauté de son œuvre, et son humilité. Tout l’enjeu au contraire est d’assumer cette idée, ce mélange (des genres, des langues, des intrigues…) pour nous donner envie d’y croire, comme de nous y perdre. Le film fertilise l’imaginaire, l’entretient et le développe – atteignant l’extrême bord du cinéma, dont l’avant et l’après film, par essence, restent pour toujours un mystère.

Certes inégal, « La Flor » s’effeuille avec patience. Il en faut pour arriver au terme ! Et, lorsque survient ce moment étrange où il faut se résoudre à se quitter après 14 heures de film, on se surprend à tenter vainement de reculer l’échéance, à la faveur d’un générique interminable tourné caméra renversée, dont l’inversion de la terre et du ciel à l’image dit tout de la facétie simple et délicate du projet. Un vrai voyage.

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