Plus politique que jamais, cette 75ème édition du Festival de Cannes s’ouvre dans un contexte particulier, en pleine passation de présidence entre Pierre Lescure et Iris Knobloch, en pleine élections – où la culture n’a pas tellement trouvé sa place – et en plein conflit russo-ukrainien – si souvent relaté dans les films, à l’instar du formidable « Donbass » de Sergei Loznitsa, Prix de la mise en scène dans la catégorie Un Certain Regard en 2018 – qui faisait le pari de réunir par le cinéma les irréconciliables. Ce que provoque en retour le festival, en présentant deux œuvres ukrainiennes, dont le nouveau documentaire de Loznitsa « The natural history of destruction » en séance spéciale, et le prolifique cinéaste russe Kirill Serebrennikov en Compétition officielle, jusqu’ici assigné à résidence, et physiquement présent pour la toute première fois à Cannes après son extradition à Berlin. Depuis « Le Disciple » en 2016, il n’a cessé de me fasciner avec « Leto » puis « La fièvre de Petrov » l’an dernier. Un déchirement personnel, par ailleurs, de ne pouvoir assister à la présentation officielle de son film, montré avant mon arrivée…
Si les spectateurs peinent à retrouver le chemin des salles (je découvre ce matin effarée un sondage Ifop qui révèle que 41% des abonnés à une plateforme désertent les salles!), je me réjouis du retour des festivaliers sur la Croisette. Environ 40 000 cinéphiles du monde entier devraient ainsi se retrouver, contre 25 000 en 2021. Le retour en filigrane, également, d’une bataille entre hiérarchie de badges qui se disputeront les places tant convoitées, mais qui rappellent, au fond, le précieux « temps d’avant », et l’exceptionnelle patience des files d’attente qui donnait aussi son charme au festival, et que le Covid nous a peut-être quelque peu ôté.
Une impatience quelquefois légitime, tant la sélection officielle recèle de noms évocateurs, comme le génie du montage Park Chan-Wook avec « Decision to leave », qui m’avait éblouie avec le sublime « Mademoiselle » et la précision de « JSA ». Leonor Serraille redonne des nouvelles avec « Un petit frère », après la belle surprise de « Jeune femme » qui offrait à Lætitia Dosch l’un de ses plus beaux rôles. Le réalisateur de « Girl » Lukas Dhont, qui avait provoqué l’événement en 2018, présente « Close ». Sans parler de l’une des plus grandes hype de cette édition, le très attendu « Crimes du futur » de David Cronenberg.
Plus poétique, Emmanuel Mouret, auteur du sublime « Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait », présente sa « Chronique d’une liaison passagère » en Cannes Première, où un couple marié redevient amant… A Un Certain Regard, probablement la sélection la plus pointue, Davy Chou présente « Retour à Séoul », qui résonne étrangement avec ma propre histoire familiale. A la Quinzaine des Réalisateurs, je suis intriguée par la présence de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, auteurs du très dérangeant « Caniba » en 2017, en route pour explorer de nouveau les tréfonds de notre humanité, avec « De Humani Corporis Fabrica ». Moins polémique mais possiblement aussi heurtant, « Revoir Paris » d’Alice Winocour où Virginie Efira tente de se reconstruire après un attentat. La joie est peut-être à retrouver du côté de la Semaine de la critique, où Blanche Gardin et Laurent Lafitte se retrouvent dans « Tout le monde aime Jeanne » de Céline Devaux. A l’ACID, enfin, la douceur de Damien Manivel qui m’avait conquise avec « Un jeune poète » en 2014, pourrait bien réitérer avec « Magdala », dans un style certes plus mystique, mais avec la délicatesse rassurante de son geste philosophique.
J'me Fais Mon Cinéma 
Joli programme. De quoi occuper largement cette période festivalière.
Bons films.
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